Voici un texte très intéressant qui montre que la réorganisation de l'armée, au début de la Seconde Restauration ne se passe pas facilement et que la troupe, depuis la Révolution, a bien compris et assimilée le principe de revendications démocratiques.
« Strasbourg, le 5 septembre 1815
Monseigneur
J’ai à vous rendre compte d’un événement assez extraordinaire qui vient de se passer à Strasbourg.
L’armée aux ordres du général Rapp y était presque toute réunie depuis quelques jours : on s’occupait avec activité de son licenciement, et déjà le 58e régiment [d’infanterie de ligne] allait partir, lorsque, le 2 du courant, tous les officiers subalternes des divers corps se sont portés chez le général Rapp pour lui imposer des conditions. Les sous-officiers en grand nombre les y ont suivi et les uns et les autres, sans doute peu contents des réponses qu’ils en avaient reçues, ont imprimé de suite un grand mouvement à toutes les troupes. A la même heure, le général Rapp, le général Semellé et moi avons été investis dans nos logements par de de forts détachements et des pièces d’artillerie ; les portes et tous les postes militaires ont été relevés et commandés par des sous-officiers. Un comité s’est formé et un sergent de voltigeurs du 7e léger s’est trouvé environné de toute l’autorité et a, dès ce moment, commandé en maître.
Les habitants, effrayés de leur position, se sont prêtés à tout ce qui leur a été demandé et la solde, dans les 48 heures, s’en est trouvée payée à tous les corps. Pendant cet intervalle, je dois avouer à Votre Excellence, que le plus grand ordre et la plus grande discipline ont régné parmi les troupes ; que les habitants et les propriétés ont été respectés et que tout s’est fait avec beaucoup de régularité.
La troupe, satisfaite dans ses prétentions, est rentrée d’elle-même dans le devoir et a remis l’autorité à ses chefs. Cette insurrection a eu le caractère tout particulier de l’ordre et on ne peut voir de coupable que les officiers qui, sans vouloir paraître, ont tout dirigé.
Le licenciement, dès ce moment, n’éprouve plus d’obstacle et déjà, les 58e et 57e régiments ont versé leurs armes et se sont mis en route. Chaque jour, il en partira de nouveau.
Je prie, Votre Excellence, de vouloir bien nommer un commandant d’armes pour la place de Strasbourg, n’ayant personne à qui je puisse confier ce poste important.
J’ai l’honneur d’être, Monseigneur, de votre Excellence, le très humble serviteur
Le lieutenant-général commandant la 5e division militaire
Dubreton
P.S. : mr le général Bruni, porteur de cette lettre pourra donner à Votre Excellence, de plus amples renseignements, ayant été à même d’observer tout ce qui s’est passé ».
Jean Louis Dubreton est né le 18 janvier 1773 à Ploërmel. Il entre dans le corps des cadets à Lorient, en 1789. Il passe au bataillon auxiliaire des colonies le 1er mars 1790. Sous-lieutenant au 78e de ligne le 15 septembre 1791. Lieutenant le 1er octobre 1791. Capitaine adjudant-major le 15 mars 1793. Il passe chef de bataillon à la 11e demi-brigade légère le 19 septembre 1801. IL est fait prisonnier à Saint-Domingue. Colonel de la 5e demi-brigade d’infanterie légère le 26 mars 1803. Général de brigade le 6 août 1811. Général de division le 23 décembre 1812. Pair de France le 5 mars 1819. Admis à la retraite le 10 juillet 1831. Il décède à Versailles le 25 mai 1855.
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