1810 : un étudiant écrit à ses parents à Orléans

Lettre de Philémon Deroisin, élève, à son père à Orléans. Ce dernier lui répond le 21

 

« Paris le 19 novembre 1810

Mon cher papa et ma chère maman

J’ai reçu hier, à 5 heures du soir, un paquet qui m’était adressé par vous, et dans ce paquet j’ai trouvé ne lettre. Que j’ai été affligé en apprenant la douleur et les craintes dont maman était agitée. Rassures toi, mère trop tendre, tes chers enfants ne courent aucun danger, mais tous, pénétrés de cette nouvelle marque de sensibilité, t’aiment et te chérissent de plus en plus.

J’ai été vois mes frères hier soir, et je les ai trouvés bien portants ; Joseph était sorti le matin même de l’infirmerie où il en avait été quitte pour quelque souffrance et un peu d’incommodité ; Philippe n’y a pas été, et les boutons de vaccin pris commencent à s’en aller. Ainsi, vous voyez que maintenant tout va bien.

Je vous dis la vérité avec franchise, et soyez persuadé que si jamais je croyais la présence de maman utile ou nécessaire à Paris, pour mes frères, je serais le premier à la demander.

Les effets énoncés sur la note de papa étaient bien tous dans le paquet. J’ai essayé la chemise ; je la trouve bonne, excepté que les manches sont un peu trop larges, et la toile moindre que maman ne me l’avait fait espérer. Je prie donc maman, si elle n’a point encore acheté toute la toile, d’en prendre d’autre plus belle ; sinon d’enjoindre à celles qu’elle m’a fait faire de cette façon, quelques autres de l’espèce dont elle sait bien que je lui ai parlé. Ce petit article cy est particulier à maman, et papa après l’avoir lu doit faire tout comme s’il n’en avait pas connaissance. Il ne me manque plus que le reste de mes chemises, quelques paires de chausson pour mettre dans mes souliers et des caleçons. Pour ces derniers, je ne puis vous envoyer de modèle, car tous sont trop petits et déchirés.

Je n’oublierai pas le shale de maman et je m’en occuperai dès aujourd’hui même, si j’ai le temps. En parlant de temps, papa me demande quel emploi je fais du mien ; je vais satisfaire son désir. Levé à 5 heures et demi, je travaille, déjeune et vais au droit ; ensuite vient la leçon de musique, après cette leçon, si j’ai quelque course ou une emplette à faire, je saisi ce moment ; à ma rentrée, je m’occupe de droit ou je lis ; le dîner arrive, après le dîner, je sors ou je monte à ma chambre ; si je sors, je vais voir mes frères ou des amis que je ne puis voir qu’à cette heure ; une fois revenu, je travaille jusqu’à 10 ou 11 heures et je me couche. Lorsque je ne sors pas, je travaille de suite ou bien je cause un instant avec mes voisins qui sont de bons garçons : dans tous les cas je suis couché à 11 heures et le lendemain même chanson.

Je m’empresse de me rétracter sur le compte de mr Cotelle ; je avais été trompé par de faux rapports : il est mazette[1] et tellement mazette que les bons élèves de son cour, ennuyés de le voir si mal remplir sa charge, s’empressent à le quitter. Je tiens ceci d’un d’entr’eux qui, certes, est bien [en] état d’apprécier l’homme.

J’ai reçu avec plaisir l’autorisation de compter à mes tantes la somme ordinaire. Quant à mon oncle, je savais bien que papa l’a toujours aimé, et c’est cette connaissance qui m’a engagé à m’adresser ainsi à papa ; d’ailleurs je sais que papa a toujours pour but de donner l’exemple à ses enfants.

Pour ce qui regarde la pension [2] de mr Lecomte[3], je ne puis encore vous donner de réponse, il faut attendre, comme dit papa, un moment opportun. J’ai caché ce projet à mes frères ; le temps ne me permet pas de m’étendre là-dessus. Je remets à une autre moment de vous communiquer mes réflexions.

Je vais souvent visiter mes frères. Hier, j’ai été saluer madame Masson qui s’est bien informé de vos santés ; elle m’a demandé pourquoi papa ne lui écrivait pas, comme il l’avait promis, afin de terminer tout comptes. Elle voulait me retenir à dîner, invitation que j’ai refusée. J’ai aussi vu le papa Durocher qui vous présente ses civilités

Je me porte bien, et vous embrasse de tout mon cœur. Je suis avec amitié et respect, votre fils aîné, Pn Deroisin.

Je pense toujours à Rosalie, Elvina … de bons souvenirs de ces enfants me fait plaisir.

Maman a oublié que ma marque est D.R.P. je la prie de faire marquer ainsi le reste de mes effets. Le shale de maman sera prêt dans 15 jours ».

 



[1] Etre désuet ou en manque de force et d’ardeur.

[2] Les pensions parisiennes étaient pour la plupart des endroits destiné à accompagner l’enseignement. Loin de les détruire, la Révolution a plutôt stimulé les pensions. En effet, elle supprima le monopôle de l’Université et ouvrit une porte aux pensions. Cependant, plusieurs d’entre elles élargirent leur enseignement à la préparation des grandes écoles, notamment Polytechnique mais aussi l’école centrale des arts et manufactures. En 1806, Paris comptait 116 pensions.

[3] Les chefs d’institution et les maîtres de pension sont « fonctionnaires de l’Université impériale » et pointent aux dix-septième et dix-huitième rangs de la hiérarchie, entre les régents de collèges et les maîtres d’études ».

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