3.34 LES FETES REVOLUTIONNAIRES
1790-1793
"La fête révolutionnaire est une manifestation explicitement civique…dont la fonction est double : édification révolutionnaire des masses, manifestation de la puissance de la Révolution"[1] nous dit Claude Mazauric. Valable à Rouen cette définition sied parfaitement à l'Ain où les fêtes révolutionnaires et parmi elles les fêtes de la Fédération qui sont jusqu'en 1792[2] les temps forts de la puissance visuelle patriotique. Moment d'union, la fête est aussi un moyen de communication extraordinaire, notamment lors des fêtes de la Fédération. La prestation de serment, le 14 juillet 1790 à Belley, est un moment intense qui doit marquer les esprits. Il est l'objet d'un programme très étudié : "Cette cérémonie sera annoncée la veille sur les huit heures du soir, par le son de toutes les cloches à la volée, soit de la cathédrale, soit des autres églises. Le même jour mercredi 14 du courant la générale sera battue, toute la garde nationale et la maréchaussée sera sous les armes : toutes ces troupes se rendront sur la place des Terreaux où elles entoureront l'autel de la patrie qui sera dressé pour y célébrer une messe à onze heure et demi précise, à l'issue de la quelle, le serment civique sera prêté par la garde nationale, la maréchaussée et par tout les citoyens présent au bruit d'une salve d'artillerie et au son des tambours et de la musique. Ce jour étant un jour de fête publique toutes les boutiques seront fermées pendant la journée. Le soir du même jour il y aura une illumination générale qui commencera à neuf heures précises du soir"[3]. A Journans, la fête de la Fédération le 14 juillet 1790, se veut un moment de ferveur patriotique et spirituelle commune, puisque le jour même la municipalité décide d’ériger une croix gravée, sur les lieux de la messe de la fête de la Fédération, pour garder la mémoire de la cérémonie.
Outre cette magnificence festive et cette puissance évocatrice des fêtes de la Fédération, dans la fête révolutionnaire dans l’Ain et particulièrement à Bourg, le type le plus répandue est l’illumination. Cette dernière est systématique jusqu’en 1793, lors de grands événements, les transformant en fête ; ainsi, en juillet 1791, le directoire du département de l’Ain fait illuminer, par 12 chandelles et 600 lampions, “ l’hôtel du département lors de l’arrivée de l’évêque”[4] ou en janvier 1792 quand on illumine l’hôtel du département pour la publication de la constitution et le 30 septembre 1792, où l’on illumine l’hôtel du département pour fêter l’abolition de la royauté. Avec la ferveur patriotique et la flambée des fêtes en l’an II, l’illumination laisse la place à des rîtes crématoires et symboliques. Le 6 pluviôse an II, le représentant Albitte, accompagné des autorités constituées, se rend à la fête organisée en ville pour la mort de Louis XVI. Ce jour-là, des effigies des rois d'Angleterre, d'Espagne, de Prusse, de Sardaigne, l'Empereur du St Empire, le Pape et Pitt sont guillotinées. Une autre représentant la ville de Toulon est brûlée.
Avec la déclaration de guerre, les actions révolutionnaires deviennent presque hebdomadaires et donnent lieu à de grandes réunions populaires durant lesquelles les sociétés occupent la première place, telle la fête civique organisée par la municipalité de Belley le 5 Novembre 1792 pour fêter la victoire des troupes françaises en Savoie où l'on chante "l'hymne des marseillais"[5]. Elles constituent un enjeu politique et une démonstration idéologique dans la mesure où elles rassemblent une masse de citoyens. Mais avec le déroulement des événements politiques intérieurs, en 1793, le rythme des fêtes révolutionnaires se ralentit jusqu'à devenir nul. Les quelques célébrations sont alors le moment d’une forte symbolique politique, comme celle du 2 juin 1793 à Bourg autour du brûlement de l’effigie de Marat ou la fête nationale célébrée par la municipalité de Belley le 10 août 1793. Il faut attendre la prise de Lyon pour voir les premières fêtes révolutionnaires de masse. Ces fêtes révolutionnaires de l’après crise fédéraliste sont fortement marquées par une empreinte populaire. Sans être encore des fêtes décadaires, elles sont l’expression du civisme et de la morale de la sans-culotterie. A Treffort, la plantation de l’arbre de la liberté, le 10 ventôse an II, donne lieu à une fête civique par les sans-culottes qui leur permet de connaître leurs amis : “ cette fête civique doit être partagée par tous les citoyens amis de la République puisqu’elle est la preuve de la consolidation de notre liberté et de notre bonheur ”[6]. Achèvement d'un dispositif prévu lors d'une organisation, les fêtes révolutionnaires deviennent le théâtre qui met en scène les valeurs de la République et des sans-culottes : la fraternité exprimée par le partage en commun d’un repas. A la fête civique du 10 brumaire an II, sur la place de la Liberté à Belley, tous les citoyens et toutes les familles sont réunis à une même table “en apportant chacun son met, pour ne former qu’une seule table et la plus grande famille d’égalité de la ville de Belley régénéré ”[7]. De même à Bâgé, le 6 frimaire et le 28 nivôse an II, la société des sans-culottes décide d’organiser une fête civique en l’honneur de Marat puis de la prise de Toulon, où les sans-culottes nourriront les plus pauvres. A Treffort, le 10 ventôse an II, la fête civique réunit les citoyens autour de la même table au temple de la raison. Ces manifestations politiques, où règne l'égalité, ont pour but de combattre le fédéralisme. Certaines de ces fêtes révolutionnaires, durant l'hiver 1793, ressemblent à un début de fédéralisme jacobin local, lorsque des commissaires de plusieurs sociétés se réunissent ou se rendent aux séances des sociétés voisines afin de fraterniser [8], comme le 30 frimaire an II, lorsque se réunissent des membres des sociétés des sans-culottes de Bâgé-le-Châtel, Châtillon sur Chalaronne et Pont de Vaux en une grande fête au Temple de la Raison de Bâgé, où à Treffort le 10 ventôse lorsque des délégués de la société des sans-culottes de Bourg participent à la fête civique en l’honneur de la plantation de l’arbre de la liberté.
Avec l’arrivée du représentant Albitte, se met en place le culte décadaire dans l'Ain, et plus particulièrement à Bourg. Dès lors, les fêtes révolutionnaires ou civiques cèdent le pas à des instruments politiques de propagande extrêmement bien préparés.
[1] MAZAURIC (Claude) : “ La fête révolutionnaire manifestation de la politique jacobine, Rouen, 1793 ” in Les fêtes de la Révolution. Colloque de Clermont Ferrand, Paris, Société des Etudes Robespierriste, 1977.
[2] La dernière fête fédérative a lieu dans l’Ain, le 14 Juillet 1792, à Pont-de-Vaux et regroupe les Gardes Nationales des trois cantons du district.
[3] Proclamation de la municipalité de Belley, 11 Juillet 1790. A.D. Ain série L non classée.
[4] Dépense de lampions, 27 juillet 1791, A.D. Ain 2L.
[5] Lettre de la municipalité de Belley au district, 5 Novembre 1792. A.D. Ain 3L.
[6] Registre de délibération de la société populaire de Treffort. A.D. Ain 13L.
[7] Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Belley. A.C.Belley.
[8] C'est le cas, le 20 messidor an II lorsque des sociétaires de Meillonnas se font accepter à la société de Treffort.
d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury
mis en ligne par l’association SEHRI
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