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les Cents Jours du Roi Murat

Avec la fin du royaume d'Italie, la présence de Murat sur le trône de Naples était ressentie comme une incongruité par les alliés. Bien qu’ayant trahi Napoléon en 1814 au profit des puissances alliées, celles-ci n’ont pas oublié les réticences de Murat à réellement s’engager dans les combats de la campagne de 1814. Le roi de Naples a, de plus, publiquement dénoncé la restauration des bourbons en France, et cela, les alliés ne lui pardonnent pas. Aux yeux des autrichiens et des anglais, Ferdinand restait le seul roi légitime de Naples, il avait été l’indéfectible soutien de la présence anglaise en Sicile et en attendait en retour qu’on lui rende son royaume perdu en 1806. Après avoir vu sa délégation refusée au congrès de Vienne, Murat se rendit bien compte de la fragilité de sa couronne. En mars 1815, le « vol de l’aigle » allait lui fournir une bonne raison de se promouvoir comme le seul souverain pouvant rassembler les Italiens sous sa bannière. Il aurait dit à un de ses généraux en présence de témoins : « je veux être la personne que les Italiens salueront comme leur souverain. En traversant rapidement le Pô, je tomberai sur les autrichiens en les prenant par surprise ; Venise est sans défense et n’a pas d’armée, les piémontais haïssent la maison de Savoie, les milanais abhorrent les autrichiens, les ligures sont sous la domination des sardes, la Toscane suivra mon drapeau et les romains sortiront de leur apathie. Je battrai l’Autriche et après marcherai sur la France ».  L’impétuosité de Murat n’avait pour égale que son courage mais cachait son incapacité à définir une stratégie efficace. Il devait absolument subordonner ses mouvements à la situation en France, en refusant d’attendre et de coordonner ses opérations avec Napoléon, Murat clouait les planches de son propre cercueil. Il permettait ainsi aux autrichiens de se tourner contre lui en laissant les autres puissances alliées affronter Napoléon.

L’armée du Royaume de Naples  de 1815 est impressionnante, tout du moins sur le papier. C’est l’armée la plus nombreuse et la mieux organisée d’Italie : 40.000 hommes répartis dans quatre divisions d’infanterie dont une de Garde, deux divisions de cavalerie et une cinquantaine de pièces d’artillerie. De nombreux soldats sont des vétérans de la guerre en Espagne, leurs officiers sont expérimentés, certains généraux sont même connus et appréciés pour leurs qualités militaires, comme Giuseppe Lecchi qui a brillamment servi sous le Prince Eugène. La présence d’officiers supérieurs français dans les rangs napolitains reste forte avec près de 10 généraux. Cependant, cette armée souffre des mêmes maux que sous l’Empire, une discipline peu rigoureuse et un taux de désertion abyssal. La conscription n’ayant jamais été efficace, les régiments étaient complétés des habituels brigands ou de réfractaires.

Murat avait donc entre ses mains un honnête outil, dont il su parfois tirer avantage. Il pouvait surtout dominer les autrichiens dans deux domaines. Tout d’abord,  il avait habilement concentré ses forces, alors que les autrichiens restaient dispersés entre Piémont et Vénétie. En marchant rapidement, il pouvait bousculer les autrichiens en Italie centrale, les rejeter sur la rive nord du Pô puis les poursuivre en Vénétie avant qu’ils n’aient eu le temps de rassembler leurs troupes. Le deuxième atout du roi, venait de  la réorganisation de l’ « Armee Von Italien », qui avait écarté les généraux ayant combattu en Italie de 1809 à 1814, au profit d’officiers des armées d’Allemagne. Connaissant moins le théâtre d’opérations, ses contingences, les généraux  autrichiens ne pouvaient qu’hésiter, tout du moins c’était ce dont Murat était persuadé.  Le roi de Naples  croyait sincèrement que la marche triomphale de ses troupes dans les anciens départements du royaume d'Italie, ferait venir par milliers les volontaires et les retraités de l’ancienne armée du Royaume d'Italie. Il sous estima ainsi, la méfiance des habitants du défunt  royaume d'Italie ainsi que de ses anciens  soldats qui eux,  n’oublièrent pas la trahison de 1814. Les volontaires affluèrent mais seulement par dizaines.

 

Le 13 mars Murat envoya ses ordres de déploiement à son armée le long de la frontière avec les États du Pape, face à Ancône. Il pensait suivre la route côtière par Rimini vers Bologne, et au  delà, traverser le Pô pour menacer la Vénétie. Ne désirant pas violer la neutralité des territoires pontificaux, Murat demanda un droit de passage que le Pape lui refusa. Le 22 mars, les soldats de la division Carascosa s’avancèrent sur la route de Bologne. Le reste de l’armée suivait sous le commandement du Roi. Le Pape se réfugia à Gêne en laissant le cardinal Somaglia protester vainement contre la violation des droits des États de l’Église. Murat après avoir installé son quartier général à Rimini le 29 mars fit publier le 30 une proclamation qui appelait les Italiens à le soutenir contre la promesse d’une représentation nationale, d’une constitution moderne qui devait les mener à l’indépendance. La diffusion de la proclamation, initia des troubles dans l’Italie du nord, des placards apparurent sur les murs de Milan appelant à l’indépendance de l’Italie et conspuant une partie de la noblesse qui se rangeait sous la férule autrichienne. Les autrichiens réagirent dès le 5 avril en faisant arrêter les meneurs supposés de la contestation et en envoyant en Allemagne, des officiers de l’ancienne armée du Royaume d'Italie en résidence surveillée. Des renforts de troupes furent envoyés en Italie sous le commandement du général Frimont. Celui-ci déploya ses divisions sur une ligne allant de Plaisance à Casalmaggiore , à cheval sur le Pô, dans une position d’attente couvrant Milan.  Les premières escarmouches eurent lieu devant Cesena dès le 30 mars et le général Bianchi fut repoussé vers le nord ouest le long de la route de Bologne qui fut occupée par les napolitains le 2 avril. La retraite de Bianchi vers Modène déboucha sur le premier réel combat de la campagne sur les rives du Panaro, le 4 avril. Le général Pépé se vante dans ses mémoires d’avoir suggéré au général Carascosa et au roi, le plan de bataille qui devait donner aux armes napolitaines un véritable et incontestable succès : une fausse attaque devait se faire sur le pont de pierre traversant le Panaro alors que trois bataillons, traversant la rivière par un gué vers le village de Spilimberto devaient tourner la position autrichienne en coupant la retraite vers Modène.  Les autrichiens tenaient devant le pont sur la rivière un fort poste d’avant garde, que Murat en personne attaqua avec deux compagnies ; Pépé s’étonne : « qui pourrait croire que le Roi, comme un autre Charles XII, en voyant l’ennemi, ouvrit soudain le feu avec seulement deux compagnies ? J’avançais alors immédiatement avec deux autres compagnies à son aide […] percevant alors que le roi avait l’intention de faire le contraire diamétralement opposé à son plan original ». La bataille tourne au burlesque, Pépé fait déployer sa brigade en colonne de bataillons sur la route de Modène quand il reçoit l’ordre, transmis par un aide de camp du Roi de traverser la rivière au sud du pont, Pépé s’étonne puisque le Roi prévoyait un mouvement tournant par le nord. Il refuse alors d’obéir à cet ordre qui lui semble inepte et s’avance vers le nord, le général Millet chef d’état major doit alors venir lui confirmer le bienfait de sa désobéissance, Pépé rappelle au général que deux de ses compagnies étaient détachées auprès du Roi et que : «  je priais cet officier de rappeler au Roi qu’il n’était pas en mon pouvoir d’assurer un miracle, mais que je ferai de mon mieux ». Pendant ces tergiversations, Carascosa avait repoussé les autrichiens sur la rive gauche de la rivière mais peinait à déboucher par le pont de pierre, sous lequel, le roi et son état major venaient de se mettre à l’abri d’un feu terriblement efficace. Pépé, s’arrête un instant pour observer la position autrichienne qui lui fait face au-delà de la rivière. Il s’adresse à ses hommes : « je formais mes soldats en colonne et après m’être adressé à eux dans un style qui apparaîtrait ridicule dans toute autre situation – je leur disais que les yeux du monde entier étaient  braqués sur eux et que je les tenais dans une plus grande estime que celle des anciens légionnaires romains – j’ordonnais aux tambours de battre la charge et toute la colonne plongea dans la rivière et la traversa ». Mais cette attaque fut arrêtée nette sur les berges de la rivière qui offrirent aux soldats napolitains un abri naturel dont les officiers eurent le plus grand mal à les déloger. La situation évoluait mieux vers le pont dont la barricade venait d’être détruite par le feu croisé de l’artillerie napolitaine. Le général Fontaine qui commandait une brigade de cavalerie hésita à faire charger ses régiments sur le pont malgré les ordres du Roi. Seuls les 24 cavaliers de son escorte passèrent le pont pour être anéantis par le feu d’un bataillon autrichien déployé. Le roi lança alors une colonne d’infanterie sur le pont qui repoussa les autrichiens vers Modène sans que ceux-ci ne perdent leur sang froid. Leur retraite se fit sans la menace d’être débordé par le mouvement de Pépé. Celui-ci d’ailleurs se plaint : « si seulement le roi avait fait preuve d’autant de sagesse que de courage, les succès obtenus ce jour auraient été plus décisifs dans leurs effets, et notre armée aurait acquis plus de confiance dans ses armes ». Murat, qui avait comme un lieutenant de voltigeurs, marché jusque sous les murs de Modène, s’écria excité par le feu de l’action : « j’ai vu combattre l’infanterie française, mais jamais avec plus d’élan que la notre aujourd’hui ! ».  La retraite des autrichiens, ouvrit les portes de Modène, de Reggio et Carpi, qui furent occupés par la division Carascosa. Le roi et ses deux autres divisions se dirigèrent alors vers Ferrare plus au nord afin de tenter le passage du Pô à Occhiobello.  Alors qu’une garnison autrichienne se réfugiait dans la forteresse de Ferrare, deux tentatives de passage en force échouèrent les 8 et 9 avril sous les coups de l’artillerie autrichienne du général Mohr, retranchée sur la rive nord du fleuve. Par six fois, l’infanterie napolitaine se lança sur le pont d’Occhiobello avant de se voire rejetée en déroute sur la rive sud. 

à suivre ...

 

Gilles Boué 

auteur de "Napoléon en Italie, 1805 - 1815" et "l'armée de 1814"

membre du forum de la S.E.H.R.I.

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