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1815 : les corps francs - l'exemple de l'Ain

Le 22 avril 1815, Napoléon décrète l’organisation de corps francs dans les départements frontaliers du territoire. Le 30, Carnot et Dumas s’adressent conjointement au préfet de l’Ain pour lui faire connaître cette mesure et l’invitent à seconder les efforts du ministre de la Guerre. Baude fait placarder ce décret le 4 mai.

Ces corps francs sont chargés de la défense de l’intérieur du territoire en cas d’invasion. Il leur revient ainsi d’intercepter « les convois de munitions, de vivres, d’arrêter tous les courriers »[1] et d’harceler les arrières des troupes ennemies en tendant des embuscades dans les gorges, les défilés et les rivières. Le gouvernement prévoit également la création de corps de partisans. Bien qu’en rapport avec les corps francs « pour concerter leurs opérations d’attaque et de coups de mains », ils ont surtout vocation à seconder les troupes d’une place assiégée lors d’une hypothétique sortie. Sans uniforme, ils ne doivent pas exécuter leurs prisonniers mais être capables, en se déplaçant de nuit, de « faire à l’ennemi le plus de mal que possible » sans, pour autant, quitter leur département.

 

Les demandes d’organisation de corps francs sont adressées soit au ministre de la Guerre, soit aux autorités préfectorales. Ces dernières – de concert avec le commandant militaire du département et le commandant de la gendarmerie – instruisent la demande, avant d’en informer le ministre. Les chefs de corps francs doivent être avant tout des personnes influentes, « bien famés et d’une moralité reconnue »[2]. Il revient au ministre de décerner le brevet d’officier de corps franc. Dès lors, cet officier devient autonome et nomme à sa guise les capitaines, lieutenants, sous-lieutenants, ainsi que les sous-officiers de son unité. Leur choix se porte fréquemment sur d’anciens soldats, des gardes champêtres ou des gardes forestiers.

Ces corps francs sont organisés sur le modèle des troupes légères de l’armée. En réalité, le gouvernement impérial ne fait que reprendre les dispositions instaurées en 1792, lors de la levée des légions franches. D’un maximum de 1000 fantassins et de 300 cavaliers[3], les corps francs sont dotés indifféremment de fusils de guerre ou de chasse. S’équipant et s’armant à leurs frais, leurs hommes ne reçoivent pas de solde. Afin d’accélérer le recrutement, une prime est cependant offerte par l’Etat pour la prise de canons, de caissons, d’effets militaires et de prisonniers. Par contre, tous les bagages pris à l’ennemi reviennent aux partisans, à l’instar des prises navales des corsaires.

Dès le 26 avril, le ministre délègue au général Marulaz le pouvoir de commissionner provisoirement les chefs de corps francs. En l’absence du sous-inspecteur aux revues, les sous-préfets s’arrogent également cette capacité. Le 18 mai, le général Lecourbe demande au préfet de l’Ain des détails quant à l’organisation des corps francs du département. Afin de seconder le préfet Baude dans cette opération, le général Janet séjourne à Bourg durant 22 jours à compter du 19 mai. La levée des corps francs est en effet lente et compliquée. Selon le sous-préfet de Nantua, cette apathie est due tant à la formation concomitante des grenadiers de la garde nationale qu’au rappel des anciens soldats. Le 25 mai, Lecourbe stipule au préfet Baude que l’effectif d’un corps franc doit avoisiner les 300 ou 400 hommes, divisés en 3 ou 4 compagnies.

Le 28 mai, il expédie les premières commissions d’officiers de partisans. De fait, Noble, concierge à Pierre-Châtel, RochBéatrixTerrayMarotte et Jean-Marie Juvanon sont désignés pour commander les partisans des arrondissements de Nantua et de Belley. Les commissions de Noble et Juvanon leur parviennent le 4 juin, celles de Terray, Roch et Béatrix, le lendemain. Lecourbe  espère que ces hommes « s’y rendront fort utiles »[4]. Alors que la compagnie de Béatrix opère dans l’arrondissement de Nantua, celles de Terray et Roch doivent être formées de gardes forestiers et champêtres de l’arrondissement de Nantua.

Les 13 et 14 juin, 45 hommes – tirés des gardes forestiers et champêtres des cantons de Gex et Ferney – forment une unité de partisans. Placée sous les ordres de Fournier – un ancien officier d’artillerie – elle est passée en revue par le sous-préfet de Gex. De même, 5 gardes champêtres, 32 chasseurs du canton de Collonges, 2 de Ferney et un de Gex se portent volontaires pour intégrer le corps franc de Béatrix. Le 15, deux compagnies d’élite de 100 hommes sont organisées sous les ordres de Girod, originaire de Chevry. Le 18, la compagnie de Juvanon est composée de 100 hommes dont 25 gardes forestiers. Celle de Noble, forte de 25 gardes champêtres ou forestiers, est complétée d’une douzaine de volontaires et de 20 militaires retraités mis à disposition par le maréchal Suchet.

Baude désire qu’un commandant en chef soit désigné afin de centraliser l’action des corps francs de l’Ain. Toutefois, Lecourbe s’y refuse, arguant qu’il est préférable de laisser à chaque chef de corps franc toute latitude « sur la partie de frontière qu’il sera chargé de défendre »[5]. Toutefois, il se montre conciliant et annonce finalement à Baude, qu’en cas de nécessité, Teray pourrait être nommé chef départemental des francs-tireurs de l’Ain.

 

Jérôme Croyet

docteur en histoire

président-fondateur de la S.E.H.R.I.

 



[1]              Archives Départementales de l’Ain, 4R, Instruction pour les corps francs, n.d.

[2]              Archives Départementales de l’Ain, 4R, Lettre du ministre de la Guerre au préfet de l’Ain, 26 avril 1815.

[3]              Les cavaliers sont armés de lances, à la manière des cosaques russes.

[4]              Archives Départementales de l’Ain, 4R 2, Lettre de Lecourbe au préfet de l’Ain, 5 juin 1815.

[5]              Ibid.

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